- Je vous déclare mari et femme...vous pouvez torturer la mariée !

Liverpool. Vraiment ? Elle avait encore du mal à s'y faire. Elle avait dû quitter les côtes Australiennes en urgence, rejoignant sa Californie natale, afin de s'entendre dire qu'elle s'envolait pour l'Angleterre. Bon, d'accord elle aimait voyager plus que tout. Mais l'Angleterre, vraiment ? Elle n'avait strictement rien contre le pays de cette chère reine, mais franchement, il y avait bien mieux à voir sur terre n'est-ce pas . Bali, La Costa Brava, même Saint-Tropez. Voilà des destinations de rêve. Liverpool ne jouait clairement pas dans la même catégorie, c'était certain. Son arrivée fut affreusement difficile. Souffrait-elle de la solitude ? Non, ce n'était pas un mal habituel pour elle. La grisaille. Voilà quelle était sa maladie. Elle qui a grandi sur la côte ouest américaine, gorgée de soleil, de plages de rêves et de bikinis, c'était une vraie souffrance pour elle de se couvrir ainsi, de se lever tous les matins la tête dans le brouillard (littéralement), et de voir ce ciel menaçant à longueur de journée...bon elle exagérait un peu, il ne faisait pas moche tout le temps, mais pour elle, c'était déjà trop. Et pour ne rien retirer à sa peine, elle devait se lever tous les jours et aller en cours. Cela faisait un an qu'elle n'avait pas posé son joli derrière sur les sièges d'un amphithéâtre et elle n'avait pas vraiment dans l'idée de le faire si rapidement. Cette année s'annonçait longue, très longue, affreusement longue.

Malgré son manque chronique de motivation, ce matin-là, elle s'extirpe de son lit, prend une douche rapide, enfile une robe bleu foncé, arrivant à mi-cuisse, sans collants (tant qu'elle n'était pas gelée, elle refusait de mettre ces trucs insupportables !), une veste en cuir noire et part à la recherche de ses boots noirs, dans l'idée de se rendre à la bibliothèque universitaire histoire de travailler un peu. Si elle devait reprendre les cours, il était hors de question d'être médiocre. Elle n'avait pas envie d'être là, certes, mais elle avait pour habitude d'exceller dans tout ce qu'elle faisait et ce n'était pas prêt de changer.

- Viens par là toi !

La tête fourrée sous son lit, elle tente d'attraper le pied droit de sa chaussure, apparemment décidé à la faire tourner en bourrique. Elle rassemble ses affaires de cours dans son grand sac marron, attrape une pomme dans le saladier de sa petite table et quitte sa chambre d'un pas tranquille, direction la partie nord du campus.

Une heure plus tard, installée à une table ses lunettes de lecture sur le nez, elle buche sans trop en faire. Ses écouteurs la plongent dans l'univers de Coldplay, un de ses groupes préférés, l'aidant ainsi à ne pas trop s'ennuyer. Une main tenant le stylo qui gratte le papier de son bloc note et l'autre entortillant une mèche de ses cheveux blonds autour de son index, elle réalise qu'il lui manque un bouquin de ce cher Winnicott afin de compléter son chapitre. Elle délaisse donc son emplacement pour quelques instants, avant de rejoindre les allées à la recherche du ou des livres manquants. Ses lunettes au bout du nez, elle arpente les allées, les yeux rivés sur les livres, sans vraiment prendre la peine de regarder ce qui pouvait bien se passer autour d'elle. Bingo. Voilà le livre qu'elle cherchait. Elle tend la main en direction du dit livre, mais est brutalement stoppée dans sa trajectoire par un grand gaillard, bien plus large et plus épais qu'elle. Elle perd l'équilibre, tente de se rattraper et s'accroche en vain à quelques bouquins, qui l'accompagnent gentiment dans sa chute. Elle pousse un petit cri de surprise en plaçant ses deux mains sur sa tête afin d'éviter de se faire assommer par l'avalanche de livres qu'elle venait de provoquer. Un brin échevelée, elle tente de rassembler ses idées. Elle se redresse sur ses pieds, passe rapidement sa main dans ses cheveux, avant d'arranger discrètement le bas de sa robe.

- Vraiment désolée, je...

Elle lève alors les yeux afin d'identifier la personne dans laquelle elle venait de rentrer et là, c'est le choc. Elle se décompose. Le large sourire qu'elle arborait alors s'estompe instantanément, alors qu'elle tente de balbutier quelques mots, mais rien ne sort hormis

- Mais...qu'est-ce que...

Austin Nielsen ? Ici ? Dans sa bibliothèque ? Elle n'y comprenait plus rien. Le temps d'un instant, elle croit à une hallucination, une fabrication mesquine de son esprit. Elle attrape rapidement la bride de ses lunettes qu'elle ôte afin de pouvoir détailler le visage de l'homme qui se tenait devant elle. Non il n'y avait aucun doute, s'était bien lui. Elle ne l'avait vu qu'une seule fois, à Vegas et pourtant, elle n'oublierait jamais ce visage. Cet homme l'avait marqué et ils étaient liés l'un à l'autre depuis quelques mois déjà. Pourquoi me demanderez-vous ? Eh bien il y a quelques mois de cela donc, alors qu'ils faisaient tous deux la fête à Las Vegas, leurs chemins se sont croisés, ils ont flirté et...ils se sont marié. Vous avez bien lu, marié ! Depuis, Kenzie n'attendait qu'une chose : mettre fin à ce mariage, ce qu'Austin refusait catégoriquement.  

Encore un brin sonnée par le choc, il faut quelques instants à la blondinette pour comprendre ce qui se passait. Malgré tout, il ne lui faut que quelques secondes pour reconnaitre son interlocuteur. Elle n'en croit pas ses yeux. Il avait fallu qu'elle aille s'exiler dans un des rares pays qu'elle n'appréciait pas vraiment pour le croiser. Elle ignorait où il vivait exactement, son avocat s'occupait de le contacter et tout passait par lui. Il n'en faut pas plus pour lui faire perdre son sourire ! Depuis des mois, il lui faisait la misère, refusant de lui accorder le divorce, alors qu'elle était persuadée qu'il n'attendait que cela lui aussi. Cet homme était tout aussi borné qu'elle. Une amie à elle lui avait dit que s'ils s'étaient rencontrés dans d'autres circonstances, ils auraient certainement été un très beau couple, ce à quoi Kenzie répondait que c'était tout bonnement impossible. Il n'y avait aucun moyen pour qu'ils s'entendent. Kenzie avait pourtant comme réputation d'être une grande séductrice, une briseuse de cœur, capable de se transformer en la femme parfaite pour son interlocuteur pour le faire tomber amoureux d'elle. Voilà quel état sa principale satisfaction (après ses voyages bien sûr) et pourtant, séduire Austin ne lui avait jamais traversé l'esprit. C'était lui qui l'avait abordé à Vegas et pour la première (ou seconde fois), elle s'était simplement laissé séduire, tout simplement. Se retrouver dans son lit le lendemain matin fut dérangeant pour elle. Elle qui avait toujours le contrôle et choisissait ces proies avec soin, s'était fait avoir comme une midinette...il ne lui avait pas mis un couteau sous la gorge certes, mais pour elle, le fait de laisser un homme mené la danse était totalement inhabituel. Elle avait longuement hésité ce matin-là : partir ou rester. Rester serait admettre qu'il lui avait plu et qu'elle avait accepté de se laisser séduire et ça, pour Mlle Cooper, c'était tout simplement impensable. Elle avait donc pris la décision de s'éclipser, sans rien dire, persuadée qu'au fond, il n'en aurait absolument rien à faire. Aujourd'hui, elle était toujours persuadée qu'il n'en avait rien à faire d'elle dans le fond, mais qu'il était juste vexé d'avoir été laissé comme ça.

-  Surprise !

Au son de sa voix, elle se ferme totalement, vraiment dérangée par cette rencontre. Il arbore ce sourire affreusement agaçant, tandis qu'elle tente de se redonner une certaine contenance. Il prenait un malin plaisir à la faire tourner en bourrique et elle ne voulait pas lui donner le plaisir de voir que ça fonctionnait. Elle place ses lunettes sur le haut de sa tête, avant de croiser les bras, soutenant le regard provocateur de son cher et tendre époux.

- Mauvaise surprise !

Kenzie n'était pas de ces femmes qui aimaient se disputer, créer des conflits ou aller directement à l'affrontement. Non elle était plutôt du genre à tuer le poussin dans l'œuf, se débrouillant toujours pour désamorcer un conflit avant qu'il n'éclate. Elle n'attaquait jamais en premier, mais il ne fallait pas la chercher car elle pouvait être un adversaire redoutable. Elle ne compte plus le nombre de personnes qui ont finit par s'éloigner en larmes après l'avoir entendu les descendre en flèche. En bonne étudiante en psychologie, elle avait les clés pour appuyer là où ça faisait mal, détruisant alors toute la confiance que l'autre pouvait avoir en ses capacités. Ce n'était pas une aptitude dont elle était particulièrement fière, mais elle n'y pouvait rien. De plus, quand elle se sentait en danger, elle avait tendance à sortir les griffes, sans vraiment prendre le temps de réfléchir, un peu comme un loup blessé, ne souhaitant pas laisser la chance aux autres de la toucher. Si Austin voulait jouer au plus malin, il avait choisi une adversaire de première qualité.

-  T'habites ici toi ??

Elle esquisse un petit sourire un brin moqueur devant tant de perspicacité, avant de passer sa main dans ses cheveux légèrement ondulés. Il était évident qu'elle ne se trouvait pas dans la bibliothèque de l'université de Liverpool juste pour le plaisir d'y être. Elle lui adresse alors un regard plein d'ironie, avant de lui répondre avec un calme incroyable

- Je ne suis pas ici pour le fun...

Elle passe sa langue sur le bord de ses lèvres en détournant légèrement le regard, avant de reposer ses yeux verts sur le jeune homme et de rajouter

- J'habites en Californie, mais je suis là pour un an...

Elle marque une petite pause, le dévisageant et remarquant par la même occasion qu'il était vraiment très beau (il faut bien rendre à César ce qui lui appartient n'est-ce pas ? La mauvaise foi n'était pas vraiment le fort de la belle blonde), puis elle poursuit sur sa lancée

- J'aurais du me douter avec ton accent que tu étais British ! Par contre, j'ai du être la pire des personnes dans une vie antérieure pour me retrouver dans la même université que toi !

Sachant pertinemment qu'il allait l'attaquer d'ici peu, elle préférait prendre les devants, prévention et protection oblige. Elle ne voulait pas rester là, bien gentiment et le laisser la lyncher.